Les personnes moins aisées financièrement ont l'habitude de dévaloriser les formes de bonheur et de satisfaction que l'argent procure. Il est courant de dire que l'argent n'achète pas le bonheur, mais qu'il permet de pleurer à Hawaï ou aux îles Caïmans. Ou que l'argent n'achète pas le bonheur, mais qu'il vaut mieux pleurer dans une Mercedes que dans une Coccinelle. Certains disent que l'argent n'apporte pas le bonheur, mais qu'il chasse la tristesse, du moins à certains égards. En fait, l'argent n'est ni nécessaire ni indispensable à une vie heureuse. L'argent n'est pas non plus une garantie de bonheur, loin s'en faut.

Quel est l'intérêt d'avoir de l'argent ?

Il est important que la personne qui a peu d'argent n'accorde pas tant d'importance au fait d'en avoir beaucoup, car elle cherche alors d'autres moyens d'être heureuse. Si une personne très pauvre s'investit beaucoup dans la réflexion sur le bonheur apporté par l'argent, il y a de fortes chances qu'elle soit très malheureuse. Malgré les possibilités d'étudier, de travailler, de s'efforcer de réussir dans la vie, de créer une entreprise, etc., nous savons que gagner de l'argent et réussir financièrement dépend d'une myriade de variables qui échappent totalement à notre contrôle. En bref, rien ne garantit qu'en étudiant et en travaillant dur, une personne deviendra riche. En revanche, les personnes qui ont beaucoup d'argent et qui accordent une grande importance aux possibilités offertes par l'argent ont tendance à être plus heureuses. Ceci est également important car si cette personne riche n'a pas de bonnes relations familiales, en concentrant sa vie sur la construction de ces liens, les risques de malheur seront grands, même s'il s'agit d'une personne très riche. Les bonnes relations familiales sont aussi incertaines et incontrôlables que l'argent. Vous voyez que le problème n'est pas d'avoir ou de ne pas avoir d'argent, le problème est la valeur attribuée à ce que vous avez ou n'avez pas.

Accorder de la valeur à ce que l'on a, c'est se sentir satisfait d'une manière ou d'une autre. Accorder trop d'importance à ce que l'on n'a pas, c'est s'engager sur la voie du malheur. Ce n'est pas que les gens ne doivent pas apprécier et rechercher ce qu'ils n'ont pas. Il est important de rechercher de nouvelles choses, des choses différentes, de nouvelles satisfactions. Notre culture occidentale est très attachée au désir et à la recherche du bonheur et de l'épanouissement. Le grand problème réside peut-être dans le fait que cette recherche vise toujours quelque chose d'incertain, quelque chose qui ne se produira peut-être pas, quelque chose qui échappe tellement à notre contrôle que l'on se demande parfois si l'on doit vraiment le rechercher ou non. La recherche vise un résultat, mais ce résultat a toujours la possibilité de ne pas se produire. Si le bonheur individuel dépend de quelque chose qui peut ne pas se produire, le bonheur est extrêmement fragile. Le fait de lier le bonheur à l'argent ou à une personne spécifique place toute la capacité d'épanouissement personnel entre les mains de la roulette du destin, et aussi bonnes que soient les chances, il n'y a aucune garantie.

L'argent fait-il le bonheur?

La métaphore de l'alpiniste peut illustrer ce qu'il faut pour atteindre le bonheur ou du moins s'en approcher. Lorsqu'un alpiniste atteint le sommet d'une montagne, il se sent accompli, à ce moment-là, il a réalisé ce qu'il voulait. Mais cela ne signifie pas qu'il s'est arrêté là, il va encore escalader d'autres montagnes, et de préférence des montagnes de plus en plus grandes. La satisfaction a pour effet de nous propulser vers une quête d'accomplissement toujours plus grande. Mais si cet alpiniste avait atteint le sommet de la montagne en hélicoptère, nous savons qu'il ne se sentirait pas comblé. Atteindre le sommet de la montagne, poser le pied sur cette place n'a de valeur qu'avant tous les efforts qu'il a déployés pour y parvenir. Nous pouvons en déduire que le bonheur dépend davantage du voyage, de la recherche elle-même, que du résultat final.


Il en va de même pour tout le reste. Ceux qui ont beaucoup d'argent et l'ont toujours eu n'y attachent pas tant d'importance. Les voitures, les vêtements et la nourriture coûteuse sont une routine qui n'a nécessité que peu de recherche et d'engagement. Le sentiment des personnes très riches à l'égard des choses coûteuses qu'elles possèdent est similaire à celui de l'alpiniste qui atteint le sommet en hélicoptère. Il n'y a pas de mérite personnel. Cette seule perception nous montre que le bonheur n'est pas nécessairement lié à l'argent. Alors pourquoi l'argent est-il si précieux ? Ou pourquoi les gens cherchent-ils sans cesse à gagner plus d'argent ?

Pression sociale et capitalisme

Compte tenu de notre organisation sociale et du capitalisme, la vie humaine est devenue centrée sur la production et la consommation. Aujourd'hui, le plus grand impératif dans la vie des gens est qu'ils doivent travailler à quelque chose, produire quelque chose, faire une activité quelconque qui leur permette de recevoir de l'argent en retour. Il n'est pas possible ou faisable de vivre en société sans avoir une activité qui rapporte de l'argent. Le fait est que l'argent est devenu la grande valeur absolue de notre société, il nous permet de quantifier tout ce qui peut être mesuré d'une manière ou d'une autre. Mais l'argent n'est pas la source du bonheur, car le bonheur ne se mesure pas et ne s'échange pas contre de l'argent. Mais le bonheur dépend avant tout de certaines conditions de base que l'argent peut fournir, il est impossible d'être heureux si l'on a faim, par exemple.


L'argent signifie la possibilité d'échanger, et d'échanger contre quelque chose qui apporte un épanouissement personnel. L'argent n'est pas la seule possibilité d'obtenir certaines choses, mais c'est la possibilité la plus viable pour de nombreuses formes de satisfaction, et aussi la plus pratique. L'argent n'implique pas nécessairement la possibilité d'échanger contre le bonheur et la satisfaction, car il s'agit d'états internes. L'argent rend possible certaines formes d'échange, certaines formes de symbolisation et certains accès à des situations plus satisfaisantes. L'argent est un facilitateur. Avec de l'argent, je peux voyager davantage, mais si le voyage lui-même n'est pas suffisant ou satisfaisant, si j'ai besoin d'un véritable compagnon ou d'une cause à suivre, un voyage ne garantira rien de tout cela. L'argent permet d'accéder à de nouveaux symboles et à de nouvelles façons de gérer l'incertitude du désir. C'est pourquoi on s'attend à ce que les personnes plus riches soient plus heureuses et plus satisfaites de la vie.


Il y a là une question éthique, au-delà de la question sociale de l'inégalité. Considérer l'argent comme indispensable quand on n'en a pas conduit au malheur. Ignorer les félicités apportées par l'argent quand on en a beaucoup peut être problématique s'il n'y a pas d'autres sources de satisfaction personnelle. Il est plus bénéfique et plus important de considérer l'argent comme un outil dans cette recherche du bonheur. Ce n'est pas par manque d'outil qu'une tâche est impossible. Il est nécessaire de considérer l'argent comme un moyen, comme une contingence, comme quelque chose qui ne dépend pas de la volonté ou de l'attitude, car attribuer la cause du malheur à quelque chose que nous ne contrôlons pas nous mène dans une impasse. Retirer l'argent de la position d'objet de notre désir est un choix éthique.